Greenwashing / hushing / shifting & co. - Éd. 54
Une cartographie des risques par FairTrade ~ Enquête sur la compensation carbone ~ Un guide pour faire le point sur les critères ESG
Bonjour à tous,
Plus besoin de présenter le greenwashing, terme apparu dans les années 80 aux États-Unis et que l’on peut traduire par “éco-blanchiment” en français. Ce mot rassemble les termes “green” et “whitewashing”, qui désigne à l’origine l’action de blanchir des murs à la chaux ou encore le fait d’occulter la vérité. Ce mot a également été utilisé pour évoquer le fait que des acteurs blancs jouent des rôles de personnes noires. D’autres sources prétendent que le suffixe “washing” vient de “brainwashing”, le lavage de cerveau, l’altération de la faculté de libre arbitre. Quoi qu’il en soit, le greenwashing consiste à tromper le consommateur, de manière grossière ou subtile, sur la qualité écologique d’un produit ou d’un service.
En France, la loi Climat & Résilience de 2021, entrée en vigueur début 2023 interdit toute “pratique commerciale trompeuse” qui affirme à tort qu’un produit ou un service est “neutre en carbone” ou “dépourvu de conséquences négatives pour le climat” sans preuves à l’appui.
Au niveau de l’UE, le terme ne bénéficie pas encore d’une définition juridique. Mais cela pourrait changer : selon certaines sources, l’UE proposera en mars 2023 une réglementation anti-greenwashing. Dans cette perspective, l'UE a récemment identifié certaines expressions relevant du champ lexical du greenwashing, notamment :
"Neutralité climatique"
"Neutre en carbone"
"100% compensé en C02"
"Le plus vert que vous puissiez acheter !"
"50% de réduction d'ici 2030"
Pour qualifier les stratégies adoptées par les entreprises face aux attentes écologiques, d’autres termes commencent à émerger. C’est le cas du greenhushing (“mutisme-vert ou éco-silence”), le fait de taire leurs engagements en matière de durabilité ou leurs objectifs de réduction des émissions. Pourquoi ? Car faire des annonces augmente les attentes de la société civile et des investisseurs et peut se retourner contre les entreprises. Un rapport publié par le cabinet de conseil South Pole indique que près d'un quart des 1 200 entreprises interrogées ne prévoient pas de rendre publics leurs objectifs d'émissions, même fondés sur des données scientifiques.
Mais ce n’est pas tout. Dans son rapport “the Greenwashing Hydra”, le think thank Planet Tracker décortique le greenwashing en 6 stratégies : greencrowding, greenlighting, greenshifting, greenlabelling, greenrinsing et greenhushing. L’utilisation croissante de ce champ lexical montre le besoin de qualifier les pratiques variées des entreprises, alors que les critères de reporting se clarifient et qu’un contentieux anti-greenwashing émerge.
DROITS HUMAINS
RiskMap. L’organisation FairTrade publie une carte qui recense les principaux risques liés aux droits humains et à l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement de certains produits. Les informations peuvent être lues par pays, par produits (par exemple, le café, le coton ou les céréales) ou par risques les plus manifestes (droits des enfants, changement climatique, etc.). Cette carte pointe l’importance des causes profondes et systémiques telles que la pauvreté ou les inégalités, et la nécessité d’analyser l’intégralité des droits humains compte tenu de leur interdépendance. À destination des entreprises et des coopératives agricoles, elle doit les aider à mener leurs propres évaluations des risques.
Traite des personnes. La 7e édition du rapport mondial sur la traite des personnes de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) s’appuie sur l’analyse de 141 pays entre 2017 et 2021. Si une baisse du trafic mondial a été relevée, c’est peut-être la difficulté d’identification des victimes pendant la pandémie qui en est à l’origine. Les statistiques démontrent un niveau d’impunité plus élevé des trafiquants en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.
Les dessous de l’IA. Impossible de l’avoir ignoré : ChatGPT est l’innovation technologique de la fin 2022. Un chatbot qui utilise l’intelligence artificielle pour générer du texte sur presque tous les sujets. Mais derrière l’ordinateur, les êtres humains ne sont jamais loin. Une enquête du Time a révélé que, pour rendre les contenus de ChatGPT moins “toxique”, l’entreprise avait eu recours à des travailleurs kényans externalisés, payés moins de 2 dollars de l’heure. Ceux-ci devaient analyser des propos extrêmement violents issus des “les recoins les plus sombres d'internet” pour les supprimer des données d’apprentissage et créer un outil capable de les détecter. Certains sont restés traumatisés par les contenus visionnés.
Human Rights & Land Navigator. Cet outil est basé sur les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers de l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture qui tentent de clarifier les liens entre droits fonciers et droits humains afin de garantir la sécurité alimentaire pour tous.
Guide syndical. La fédération syndicale européenne UNI Europa a élaboré une boîte à outils syndicale sur la diligence raisonnable en matière de droits humains à destination des représentants de travailleurs. Le document contient une checklist pour évaluer la qualité des systèmes de diligence raisonnable déjà en place et les étapes pour en créer de nouveaux.
Living wage playbook. AIM-Progress, forum rassemblant plusieurs entreprises de produits de grande consommation, lance un guide pratique pour leurs membres afin d’intégrer le salaire vital dans leurs chaînes d'approvisionnement.
ENVIRONNEMENT & CHANGEMENT CLIMATIQUE
Compensation fantôme. Les médias The Guardian, Die Zeit et SourceMaterial ont publié une enquête sur Verra, le principal fournisseur mondial de crédits de compensations carbone forestier, utilisé par de nombreuses entreprises. Elle révèle que plus de 90% des crédits de compensation issus de la forêt tropicale sont susceptibles d’être des “crédits fantômes”.
“Seule une poignée de projets Verra portant sur les forêts tropicales ont montré des preuves de réduction de la déforestation” et 94 % des crédits n'auraient aucun avantage pour le climat. Les crédits carbone sont émis proportionnellement à la déforestation évitée grâce à la protection de la forêt. Or les scénarios ont surestimé la menace de déforestation (de l’ordre de +400% voire +950%), donc l’effet bénéfique des projets.
Pour tout comprendre, il faut écouter Patrick Greenfield, l’un des auteurs de l’enquête, dans le podcast Today in Focus du Guardian.
Et pour consulter la réponse de Verra au Guardian, c’est ici.
Greenwashing Total. Depuis décembre 2021, l’entreprise pétrolière est visée par une enquête préliminaire pour “pratiques commerciales trompeuses” dans le domaine de l’environnement. Comprendre : pour des mensonges climatiques. La plainte déposée par plusieurs associations de défense de l’environnement (Wild Legal, Sea Shepherd France et Darwin Climat Coalitions) concerne des faits de “destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui et complicité” en raison des activités extractives de l’entreprise. Comme souvent dans les contentieux liés au greenwashing, le problème est “le fossé qui sépare les discours et la stratégie de communication du groupe Total en matière climatique de ses pratiques qui consistent à investir massivement dans des énergies fossiles”.
Household basics. Pour lutter contre le greenwashing, l’autorité britannique de la concurrence et des marchés (CMAS) va dorénavant examiner l’exactitude des déclarations environnementales sur certains produits ménagers essentiels comme les aliments, les boissons et les produits de nettoyage. Le but est de s’assurer du respect de la législation britannique sur la protection des consommateurs. Une démarche qui existe déjà dans le secteur de la mode et du textile.
Exemption climatique ? La directrice générale de l’autorité britannique de la concurrence, Sarah Cardell, a annoncé que de futures propositions viseront à assouplir les règles antitrust pour les initiatives en matière de changement climatique. C’est une réponse “aux préoccupations des entreprises, qui craignent qu'une collaboration dans le domaine climatique ne les expose à des accusations de collusion”. Ainsi, l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique pourrait relever d’une exemption aux règles antitrust.
Puits de carbone. Selon un rapport du World Resources Institute, en Amazonie, les forêts gérées par les communautés natives sont parmi les derniers puits de carbone. Néanmoins, ces communautés subissent de plus en plus de pression de la part des gouvernements et des entreprises.
FINANCE & ESG
Critères ESG. Ce guide de référence du International Senior Lawyers Project (ISLP) fait le point sur les critères ESG en Australie, au Brésil, au Canada, en Colombie, dans l’Union européenne, au Pérou, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Nature et dépendance. Cet outil, créé par le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et la société S&P Global, adopte une nouvelle méthodologie, alignée avec l’approche du groupe de travail sur les divulgations financières liées à la nature (TNFD). Il permet “au secteur financier de mesurer et de traiter les risques liés à la nature en fournissant des analyses scientifiquement solides et exploitables sur les impacts et les dépendances de la nature”.
Une vague de contentieux ESG ? S'appuyant sur une enquête menée par le cabinet d’avocats Norton Rose Fulbright, cet article de Bloomberg révèle que les avocats se préparent à une augmentation des affaires liées à l'ESG. En cause, le durcissement des exigences de divulgation extra-financières des entreprises et l’absence de mesures claires en matière d’ESG. Près de 28 % des 430 conseillers juridiques interrogés “ont déclaré que leur exposition aux litiges dits ESG avait augmenté en 2022, et 24 % s'attendent à ce qu'elle s'accentue au cours des 12 prochains mois”.
TO DO LIST
1. Écouter le podcast Entendez-vous l’éco sur les crimes écologiques : l’heure des comptes pour les multinationales.
2. Trouver le cours sur la durabilité qui vous convient parmi les nombreuses propositions des Nations Unies.
3. Regarder le dernier Cash Investigation qui résonne avec plusieurs actualités de cette édition. Le sujet : “Superprofits: les multinationales s’habillent en vert”.
4. Lire le grand format de la revue XXI “Ils volent le vent, soyons tempête” qui s'intéresse à la lutte des Zapotèques contre l’implantation des éoliennes d’EDF au Mexique.