Le Vanuatu en exemple - Éd. 55
Devoir de vigilance : une banque assignée en justice ~ Enquête dans le secteur du thé ~ Les engagements anti-déforestation des entreprises
Bonjour à tous,
Le changement climatique risque d’affecter plus lourdement les populations et les États qui y ont le moins contribué. Parmi eux, certains montrent la voie dans la lutte contre le changement climatique afin de préserver leur identité, voire leur existence, à l’image de Vanuatu.
Vanuatu, le “pays debout”, est un archipel situé en mer de Corail au large de l’Australie. Vulnérable face au changement climatique, il était considéré par le World Risk Index de 2021 comme le pays le plus exposé aux risques naturels dans le monde.
En mai 2022, l’archipel du Vanuatu a déclaré l’état d’urgence climatique, et annoncé un plan de 1,2 milliard de dollars destiné à atténuer les conséquences du changement climatique. Récemment, le gouvernement a aussi publié la version finale de la proposition de résolution déposée par plusieurs États (dont l’Angola, le Bangladesh, le Costa Rica et le Vietnam) visant à demander un avis consultatif à la Cour internationale de justice sur les obligations des États en matière de changement climatique. L’adoption de cette résolution par l'Assemblée générale des Nations Unies est prévue pour fin mars ou début avril 2023.
L’avis consultatif est important dans la mesure où il pourrait clarifier les obligations des États en matière climatique, sur la base des normes internationales préexistantes, et en s’appuyant sur la compétence de la Cour internationale de justice.
DROITS HUMAINS
La BNP devant la justice. Trois mois après sa mise en demeure, la BNP Paribas a été assignée en justice par les associations Notre affaire à tous, Oxfam et Les Amis de la Terre le 23 février 2023 devant le tribunal judiciaire de Paris. C’est un contentieux historique à au moins deux titres :
Il s’agit de la première banque dans le monde assignée en justice en raison de son financement des énergies fossiles. Les trois associations lui demandent de cesser tout soutien à de nouveaux projets pétroliers et gaziers. La BNP Paribas avance qu’elle est engagée sur cette voie.
La demande est fondée sur la loi française sur le devoir de vigilance qui oblige les grandes entreprises françaises à “identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement”. Les ONG estiment que la BNP Paribas, en finançant des entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers, ne respecte pas cette loi en matière climatique.
Diligence raisonnable en aval. La Global Initiative on Business and Human Rights (GBI) a publié un rapport qui répond aux principales questions des entreprises quant à la mise en place d’une diligence raisonnable efficace dans la partie aval de leur chaîne de valeur. Un document intéressant puisque la diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement se concentre généralement sur la chaîne d’approvisionnement, l’amont. L’aval, c’est tout ce qui concerne l’utilisation des produits et des services d’une entreprise. En d’autres termes, sa vie une fois qu’il a quitté l’entreprise. Un exemple de questions à se poser dans ce contexte : comment sera utilisé mon produit ? Par qui ? À qui sera-t-il revendu ?
L’aval en pratique. De son côté, le Danish Institute of Human Rights a publié un rapport qui rassemble des cas pratiques de plusieurs entreprises sur la diligence raisonnable dans la partie aval de la chaîne de valeur.
Enquête dans le secteur du thé. Une enquête menée conjointement par BBC Africa Eye et Panorama fait état d’abus sexuels généralisés dans des exploitations agricoles qui fournissent certaines des marques de thé les plus vendues au Royaume-Uni. Selon le reportage, 75 des 100 femmes interrogées dans les plantations de Kericho ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel de la part de la direction pour obtenir un emploi ou un renouveler leur contrat. Suite à ces allégations, plusieurs entreprises ont initié des enquêtes, notamment pour comprendre les défaillances du mécanisme de plaintes. Pour voir le documentaire (glaçant), c’est ici.
PME. Cette boîte à outils sur la diligence raisonnable des PME a été élaborée à la demande de l’Institut Fédéral pour le Développement Durable (IFDD) néerlandais, par HIVA-KU Leuven.
L’objectif est d’aider les PME à comprendre leurs risques liés aux droits humains et à l'environnement et de les atténuer, à leur échelle et avec leurs moyens. Vous pouvez commencer par faire un test pour évaluer votre entreprise !Living Wage. L’entreprise IDH Sustainable Trade a créé une feuille de route sur le living wage pour pousser les acteurs concernés à mettre en place les actions appropriées pour combler les écarts de salaire. Cinq étapes sont définies, chacune assortie d’outils pratiques pour aider les entreprises à progresser.
Le cas Lafarge. Le rapport Funding Conflict de l'organisation néerlandaise pour la paix PAX et de l'European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) examine le cas de l'entreprise française Lafarge (devenue depuis Holcim) en Syrie. Le rapport souligne l'importance d'une diligence raisonnable accrue en matière de droits humains dans les zones touchées par les conflits. À noter, les recommandations concernent l’entreprise mais aussi ses investisseurs.
ENVIRONNEMENT & CHANGEMENT CLIMATIQUE
Forest500. La 9e édition du rapport Forest500 de l’organisation Global Canopy évalue les politiques et performances des 350 entreprises les plus influentes et les plus exposées au risque de déforestation. L’étude s'intéresse aux chaînes d’approvisionnement d’huile de palme, de soja, de bœuf, de cuir et de bois, pâtes et papiers. Le rapport inclut aussi les 150 institutions financières qui investissent dans ces entreprises. Conclusion : les progrès sont très lents et 40 % des entités étudiées n'ont aucune politique pour mettre fin à la déforestation.
100 entreprises sur 350 ont un engagement contre la déforestation mais seule la moitié s'assure que ces politiques sont suivies d’effets.
Le rapport souligne que l’inaction en matière de droits humains est “particulièrement préoccupante”, la déforestation étant souvent liée à des violations des droits humains. La prise en compte de nouveaux critères relatifs aux droits humains (par exemple la tolérance zéro contre la violence à l’encontre des défenseurs des droits humains et environnementaux) a impacté négativement les résultats.
Le secteur financier est décrit comme étant “terriblement à la traîne”, avec seulement 11% des institutions financières les plus exposées à la déforestation disposant de politiques pour les matières premières évaluées.
Boucle catastrophique. Un rapport de l’Institute for Public Policy Research (IPPR) et de Chatham House prévient : dans un futur proche, les gouvernements pourraient être tellement submergés par les conséquences de la crise climatique, qu'ils seraient incapables de s'attaquer à ses causes profondes. Le risque est de tomber dans ce que les auteurs du rapport appellent une “boucle catastrophique”, les gouvernements étant contraints de gérer les catastrophes qui s’accumulent au lieu de s’attaquer à la décarbonation.
Inaction climatique. Au Royaume-Uni, l’organisation de défense de l’environnement ClientEarth, soutenue par des investisseurs institutionnels européens, a déposé une plainte contre les dirigeants de l'entreprise. Pour ce faire, ClientEarth a utilisé le processus de l’action dérivée, qui permet aux actionnaires de mettre en cause les dirigeants d’une entreprise. En effet, depuis 2016, l’organisation environnementale est devenue actionnaire de la compagnie pétrolière pour obtenir un droit de vote aux assemblées générales ainsi que des informations sur les investissements. Il est reproché aux 11 administrateurs de Shell une mauvaise gestion des risques liés au changement climatique.
« Les administrateurs sont en infraction avec le droit des sociétés, dans la mesure où le Conseil d’administration n’a pas respecté ses obligations en vertu du droit britannique de gérer correctement les risques importants et prévisibles du changement climatique », déclarent les plaignants.
Il s'agirait de la première action en justice de premier plan intentée par un actionnaire contre un conseil d'administration en raison de l'incapacité à préparer l'abandon des combustibles fossiles. Si elle est jugée recevable, l’issue de cette affaire pourrait avoir une répercussion importante sur la gouvernance des entreprises et la gestion des risques climatiques.
Crédibilité ? Très (très) peu d’entreprises disposent de plans de transition climatique crédibles. C’est la conclusion de la plateforme à but non lucratif Carbon Disclosure Project (CDP) par rapport aux données qui lui ont été soumises par les entreprises. Et pour cause : sur les 18 600 entreprises ayant fourni des données au CDP, seules 81 (0,4%) ont transmis des informations concernant les 21 indicateurs clés inclus dans le questionnaire.
Le bon mot. Cet article dissipe la confusion entre les termes “carbon neutral”, “net zero” et “carbon negative” et incite les entreprises à choisir les bons pour éviter les soupçons de greenwashing. Des initiatives comme la Science Based Targets Initiative fournissent des lignes directrices aux entreprises pour atteindre le net zero.
L’Asie en première ligne. Cet outil créé par XDI : The Cross Dependency Initiative calcule le risque climatique physique dans plus de 2 600 territoires dans le monde à l’horizon 2050. Il s’appuie sur des projections modélisées des dommages causés par les phénomènes météorologiques extrêmes du fait du changement climatique (inondations, incendies de forêt ou élévation de la mer par exemple). L’Asie est particulièrement vulnérable puisque 114 des 200 régions qui devraient être les plus menacées par les impacts du changement climatique s’y trouvent.
FINANCE & ESG
Fonds souverain. Le plus grand investisseur au monde, le fonds souverain norvégien, a averti les membres des conseils d’administration des grandes entreprises : il votera contre leur réélection s'ils n’améliorent pas leur politique de lutte contre le changement climatique et les violations des droits humains. Le fonds se préparerait à voter contre la réélection d’au moins 80 conseils d'administration qui n’ont pas atteint leurs objectifs environnementaux et sociaux.
Femmes & Investissements verts. Le rapport “Applying a gender lens to climate investing” a été rédigé par le Women in Finance Climate Action Group (WIFCAG). Il donne des conseils pour prendre en compte les femmes dans les investissements pour le climat.
ESG en Inde. Les attentes en matière de reporting ESG pourraient prochainement se durcir en Inde. C’est en tout cas ce que réclame une série de propositions publiées par le régulateur du marché indien, le Securities and Exchange Board of India (SEBI).
TO DO LIST
1. Suivre l’évènement co-organisé par la Global Initiative on Business and Human Rights (GBI) et le Danish Institute of Human Rights pour le lancement de leurs rapports respectifs (voir supra) sur la diligence raisonnable en matière de droits humains dans la chaîne de valeur en aval. Date : lundi 27 février de 11h00 à 12h00 CET.
2. S’inscrire à la Spring academy on the European turn to sustainability due diligence, organisée par le TMC Asser Institute à La Haye. 4 journées de formation intensive avec au programme : explication de la théorie derrière le concept de due diligence, décodage des lois nationales et des pratiques des entreprises et prise en compte du concept par les tribunaux et les autres acteurs concernés. Du 3 au 6 avril 2023 (date limite d’inscription le 1er mars, payant).
3. Écouter le premier podcast en français du cabinet GoodCorporation. Anna Triponel, fondatrice du cabinet Human Level, y explique les liens entre les droits humains et le changement climatique.
4. Visualiser les zones menacées par la montée des eaux et les inondations côtières avec le Coastal Risk Screening Tool. Cette carte est basée sur le modèle mondial le plus avancé des élévations côtières et les dernières projections des inondations futures.